chercheur, anthropologue, pédagogue

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En mémoire d’Edgard Sienaert

C’est avec tristesse que nous avons appris le décès de notre ami et président Edgard Sienaert, d’un cancer du pancréas, le 2 janvier 2024. Il avait 83 ans.

Nous sommes de tout cœur avec sa famille et ses amis durant cette épreuve. Ses obsèques ont lieu vendredi 5 janvier à Bloemfontein en Afrique du Sud.

Nous serons toujours reconnaissants à Edgard pour son amitié, sa gentillesse et sa contribution à la connaissance de l’anthropologie de Marcel Jousse, en tant que chercheur et en tant que président de notre association.

A la mi-décembre, Edgard nous avait annoncé la nature de sa maladie récemment détectée, et s’était aussitôt démis de ses fonctions.

Le Bureau a alors choisi Thomas Marshall pour assurer les fonctions de président de l’Association Marcel Jousse, jusqu’au renouvellement du Bureau prévu en novembre 2024. Un hommage lui sera rendu lors de notre Assemblée Générale.

Nous proposons que cet article soit un espace dédié à la mémoire d’Edgard. Toute personne qui le désire peut y poster un témoignage, un message, dans les commentaires en bas de page. Vous pouvez aussi nous écrire si vous souhaitez que nous ajoutions du contenu à cet article (un texte, une photo, un document…)

Nous imaginons que vous pouvez être aussi touchés que nous en découvrant cette nouvelle inattendue. Elle ouvre pour l’année 2024 un mouvement de deuil, de passage, mais aussi de gratitude et d’engagement à poursuivre notre mission.

Nous vous souhaitons pour cette nouvelle année de traverser les épreuves et d’accomplir vos projets les plus chers avec patience et persévérance, comme Edgard nous en a donné l’exemple, dans les pas de Marcel Jousse.

Les membres du Bureau de l’Association Marcel Jousse

Thomas Marshall
Elizabeth d’Eudeville
Gabriel Bourdin
Amaury d’Eudeville
Edith de Pontfarcy
Titus Jacquignon
Et
Muriel Roland

 

Les obsèques d’Edgard

Une lettre de l’Association Marcel Jousse a été lue lors de la cérémonie. En voici une traduction française et le texte anglais.

Messages personnels

Hommage de Frédéric Herrera  (mime et danseur Butoh)

Message de Sœur RegineMarie (Italie) :

C’est durant la période de confinement, de ces années si singulières marquées par “le covid”, que j’ai entretenu une correspondance régulière avec Edgard, alors que je le connaissais à peine, pour l’avoir rencontré à une Assemblée Générale de l’Association Marcel Jousse. Il m’avait demandé, à ma grande surprise, de l’aider pour les corrections des épreuves de son prochain livre. Cela m’a fait beaucoup de bien, ce contact épistolaire autour d’un projet sérieux, en ces moments là si irréels et si peu humains. Par la suite, j’ai continué, de temps à autre, à lui envoyer et à recevoir des messages amicaux.
Je me suis fait ainsi l’idée d’une personnalité assez déconcertante, à la fois très abrupte et très “fluide”, délicate et intransigeante. Il m’a semblé qu’il y avait quelque chose de très rêveur dans sa pensée, dans sa conception de la vie. Puisse-t-il reposer en paix, dans la paix de Dieu.

Hommage de Werner Kelber  (universitaire américain qui a collaboré à plusieurs publications d’Edgard)

Présentation sur Jousse au Comité International de la Danse – 2/12/2023

Le Conseil International de la Danse est une ONG internationale sans but lucratif, qui est partenaire de l’UNESCO depuis sa fondation en 1973. Elle fédère plusieurs milliers de membres (personnes et organisations) dans 170 pays. Ils ont lancé le programme « Danse et Spiritualité » qui traite du rapport de la danse et des artistes avec le spirituel.

Suite à la suggestion de France Schott Billmann, l’Association Marcel Jousse a été contactée par le responsable de ce programme, Constantin Kontogiannis. Les premiers échanges ont abouti à la programmation d’une conférence de Titus Jacquignon. Une belle occasion de faire découvrir les recherches anthropologiques de Jousse dans ce milieu qui se préoccupe des danses en tant que patrimoine culturel vivant à reconnaître et à préserver.

Marcel Jousse : Anthropologie de l’Expression

Présentation par Titus Jacquignon, Docteur en sciences du langage

Samedi 2 décembre à 16h00 (heure de Paris)

Programme prévisionnel

Langage : en français, avec traduction en anglais

Lien zoom : https://us02web.zoom.us/j/9414526266

Pour vous inscrire, écrire à DanceAndSpirituality@gmail.com

Pour en savoir plus :

  • Le document de présentation du programme Danse et Spiritualité

Présentations des recherches de Muriel Roland (2023)

Nous avons le plaisir d’annoncer la prochaine soutenance de la thèse de Muriel Roland, membre active de l’Association Marcel Jousse, ainsi que deux occasions de l’entendre présenter les fruits de son travail, en novembre et décembre.

Qui est Muriel Roland ?

Muriel Roland, artiste de théâtre, formée à l’École Internationale de Mimodrame Marcel Marceau de Paris (1983-86), co-fondatrice de la Cie SourouS, du Festival Auteurs en Acte, de l’Escuela nacional de teatro – Santa Cruz-Bolivie, vient d’achever une thèse de doctorat sur le geste de l’acteur, sous la direction du Pr. Katia Légeret, (Université Paris 8). Depuis 30 ans, l’œuvre de Marcel Jousse est pour elle une source vive et intarissable d’inspiration.

Lors des années passées, elle a proposé plusieurs interventions dans le cadre de l’Association Marcel Jousse, notamment lors des séminaires dont les vidéos sont publiées sur notre chaîne You Tube. Elle s’intéresse aussi beaucoup à la pensée de René Girard, qu’elle met en lien avec celle de Jousse, notamment pour mieux comprendre la violence.

Sa thèse de doctorat

Faisant retour sur une riche carrière artistique et pédagogique, Muriel Roland a réussi à aboutir son projet de recherche et d’écriture, dans le cadre exigeant d’une thèse de doctorat – tout en continuant en parallèle ses activité théâtrales ! Nous lui adressons toutes nos félicitations pour cet aboutissement et sommes impatients de pouvoir lire son travail. Le résumé ci-dessous, qu’elle a rédigé, montre bien l’ambition et la richesse intellectuelle d’un travail, qui est à la fois profondément incarné dans ses expériences.

Le rituel universitaire de la soutenance de sa thèse sera l’occasion de la réception de ce travail dans le cadre de la communauté scientifique interdisciplinaire des études théâtrales. Cet événement aura lieu lundi 20 novembre à l’Université Paris 8 à Saint Denis. Il n’est malheureusement pas ouvert au public du fait de la petite taille de la salle disponible.

Poïétique du geste de l’acteur au théâtre – Thèse sous la direction de Madame Katia Légeret. Laboratoire de rattachement : Scènes du monde, création, savoirs critiques – UFR : Arts, philosophie, esthétique

Membres du jury :

  • Nathalie Coutelet, professeure, Université Paris 8.
  • Katia Légeret, professeure, Université Paris 8.
  • Doina Petrescu, professeure, Université de Sheffield
  • Jean-Pierre Triffaux, professeur, Université Côte d’Azur

 

Résumé :

La présente thèse trouve son origine dans la pratique du théâtre et du métier d’actrice de son autrice ; elle vise à penser la nature du geste, et plus particulièrement celle du geste théâtral dans une perspective cosmologique, anthropologique et historique.

En prenant appui sur l’anthropologie du geste de Marcel Jousse, la philosophie taoïste, la logique antagoniste de Stéphane Lupasco et ses développements par Basarab Nicolescu, elle envisage le corps humain comme « le microcosme qui réverbère le macrocosme », c’est-à-dire comme étant régi par les lois même de l’univers et de la nature, ce qui fait l’objet de la première partie.

En s’arrêtant sur les conséquences de la verticalisation de l’humain et de son inachèvement à la naissance (néoténie), la seconde partie pointe les particularités d’un comportement d’espèce qui conduit l’humain à intégrer ses traits invariants (verticalisation, bipédie, langage) et particuliers (cultures) par le biais d’un processus d’apprentissage qui le singularise et le caractérise : le geste mimique.

La troisième partie examine – à partir du théâtre grec antique et à l’aune notamment de la pensée de René Girard – comment le théâtre, en représentant à la fois le peuple (à travers le chœur) et l’ancien sacrifié (à travers l’acteur) opère le prolongement de la scène rituelle ainsi que sa mise à distance pour le spectateur (ancien lyncheur). Cette évolution informe en profondeur les « techniques du corps » (Marcel Mauss) de l’acteur, qui retourne optiquement l’ancienne aire sacrée pour la transformer en scène d’incarnation agonistique (agôn, « lutte, combat »). Simultanément, en frère du poète-dramaturge et du didascalos-metteur en scène, l’acteur est aussi porteur du récit et compositeur méticuleux de la conduite de sa partition gestuelle dans l’espace et la durée. Il lui faut alors combiner transe et maîtrise. L’inscription corporelle de ce paradoxe est évoquée à travers les techniques de l’acteur marionnettique et des « trois corps en un » de la tradition chinoise (Shēn Tĭ- marionnette-corps physique ; Shēn Yì- marionnettiste- corps d’intention ; Shēn Qì- fil- corps énergétique) que l’on retrouve chez Marcel Marceau, Antonin Artaud, comme dans le Nāṭya-śāstra (traité antique de l’hindouisme donnant les bases et principes du théâtre indien).

L’ensemble de cette thèse vise à interroger les conditions par lesquelles le geste de l’acteur et l’art du théâtre tout entier pourraient contribuer à une ré-instauration de la poïèsis (art ou acte de fabriquer) dans nos vies marquées par la disparition accélérée – au profit des seules technologies exosomatiques – des techniques gestuelles, corporelles et relationnelles constitutives de notre humanité.

 

Présentations publiques

Vous aurez l’opportunité d’entendre et de voir Muriel Roland partager les fruits de son travail à deux occasions.

  • Samedi 18 novembre (16 h 15-17h) : “De l’homme sans geste au monde sans homme ? Technique versus technologie”

A Paris ou en visioconférence, Muriel Roland présentera cette facette de sa thèse qui questionne les impacts des nouvelles technologies, dans le cadre du séminaire organisé par l’Association Marcel Jousse : “Le geste à l’ère du numérique” (14h-18h).
Pour en savoir plus

  • Mardi 5 décembre (13 h 30-14h45) : “Les trois corps de l’acteur, enraciné-suspendu, entre transe et maîtrise”

Cette conférence gestuée aura lieu au Théâtre L’Echangeur à Bagnolet, dans le cadre des Rencontres publiques autour du Vaudou haïtien, des pratiques rituelles et des arts de la transformation. Elle abordera de nombreuses thématiques de ses recherches. Elle sera suivie d’une courte pratique (pour les volontaires) et d’une discussion.

Si le trac est le souvenir corporel d’une ancienne traque ; si tragédie, « chant du bouc » (émissaire) signifie d’abord le chant rituel accompagnant le sacrifice du bouc aux fêtes de Dionysos à l’époque archaïque ; « si le théâtre est fait pour permettre à nos refoulements de prendre vie » (Antonin Artaud), nous pouvons considérer l’acteur comme le fantôme de la victime sacrificielle, relevé de son cadavre, revenant jouer « comme un supplicié que l’on brûle et qui fait des signes sur son bûcher » (Antonin Artaud). Ceci éclaire la fabrique de nombreuses « techniques du corps » de l’acteur qui retourne optiquement l’ancienne aire rituelle pour la transformer en scène d’incarnation agonistique (agôn, « lutte, combat »). Simultanément, en frère du poète-dramaturge et du didascalos-metteur en scène, l’acteur est aussi porteur du récit et compositeur méticuleux de la conduite de sa partition gestuelle dans l’espace et la durée. Il lui faut alors combiner transe et maîtrise. C’est l’inscription corporelle de ce paradoxe qui sera ici explorée, à travers l’évocation gestuelle de l’anthropologie du geste de Marcel Jousse, de l’acteur marionnettique et des « trois corps en un » de la tradition chinoise (Shēn Tĭ- marionnette-corps physique ; Shēn Yì- marionnettiste- corps d’intention; Shēn Qì- fil- corps énergétique) que l’on retrouve chez Marcel Marceau, Antonin Artaud, dans le Nāṭya-śāstra (traité antique de l’hindouisme donnant les bases du théâtre indien) ainsi que dans le texte de Heinrich von Kleist Sur le théâtre de marionnettes.

Cette présentation s’inscrit dans le cadre des rencontres publiques autour du vodou haïtien, des pratiques rituelles et des arts de la transformation : Interventions scientifiques, artistiques et projections de films anthropologiques avec des enseignants chercheurs d’universités françaises et haïtiennes – LUNDI 4 & MARDI 5 DÉCEMBRE 2023 | 13h30 > 19h00

Réservation gratuite en ligne pour les rencontres

Autres activités autour des arts vivants du vodou haïtien

Muriel Roland collabore depuis quelques années avec des chercheurs explorant les arts de la transformation, sur et en dehors de la scène théâtrale. Nous relayons donc à sa demande l’annonce des autres activités prévues sur ce thème au théâtre de Bagnolet.

Programme général

Pour réserver gratuitement (et rapidement), cliquez sur les liens ci-dessous :

  • SAMEDI 2 & DIMANCHE 3 DÉCEMBRE 2023 | 10h00 > 13h00
    Ateliers pratiques de chants et danses vodou haïtien
    Dirigés par Mambo Ninie et 4 artistes haïtiens des communautés du vodou Madame Nerval et Legphibao

Réservation gratuite en ligne pour les ateliers

  • MARDI 5 DÉCEMBRE 2023 | 19h30
    Performance sur la piété et l’échange entre les hommes et les dieux
    De Stéphane Poliakov & Hugues Badet

Réservation gratuite en ligne pour cette performance

  • MERCREDI 6 DÉCEMBRE 2023 | 19h30
    Performance. Action rituelle
    Laboratoire international des arts de la transformation ; rituels du vodou haïtien et tragédies grecques et classiques françaises
    Avec Marie-Suze Jean-Baptiste, Dalia Jean, Mirlande Merville, Nadilie Charles, Saintelus Candy, Luis Strong Megie, Sarah Periquet. Direction Fabrice Nicot.

Réservation gratuite en ligne pour cette performance

  • JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023 | 19h30
    Franchir la barrière
    Performance. Action rituelle
    Avec Marie-Suze Jean-Baptiste, Dalia Jean, Mirlande Merville, Nadilie Charles, Saintelus Candy, Luis Strong Megie. Direction Fabrice Nicot.

Réservation gratuite en ligne pour cette performance

  • 9-13 JANVIER 2024
    Les Bonnes – Matériau
    Performance. Spectacle
    Institut Grotowski de Wroclaw et Atelier Wachowicz/Fret
    Avec Marie Suze Jean Baptiste, Katya Egorova, Elisa Guarraggi, Aleksandra Kugacz-Semerci, Monika Wachowicz, Marie Walker, Gey Pin Ang.

Présentation et réservation

Au programme des rencontres 2023

Comme l’an dernier, nous proposons nos rencontres annuelles ouvertes à toutes et tous avec une double modalité de participation, soit à Paris, soit via Zoom. Elles auront lieu samedi 18 et dimanche 19 novembre. En voici le programme prévisionnel !

Toutes les activités sont regroupées cette année dans le même lieu, au 92 bis Bd du Montparnasse – 75014 Paris.

Rejoindre la visioconférence :

https://us06web.zoom.us/j/87664222042?pwd=dDZVKzNNSmZ3MUNIMks4UnVzMURCQT09
ID de réunion: 876 6422 2042   –   Code secret: 464769
Pour suivre par téléphone, recherchez le numéro en fonction de votre pays : https://us06web.zoom.us/u/kd5lahFMAP

 

Pour adhérer ou renouveler votre adhésion à l’association

Séminaire Le geste à l’ère numérique

Que de changements dans notre univers technique et médiatique depuis les derniers cours de Jousse dans les années 1950 ! Chaque génération d’enfants a grandi dans un monde différent de celui de ses parents, et ce n’est pas terminé ! L’anthropologie du geste et du rythme de Jousse – aussi appelée anthropologie du mimisme – nécessite donc une actualisation pour être pleinement opérante et signifiante auprès de nos contemporains.

Voici quelques questions qui seront en toile de fond de notre réflexion.

  • Comment la méthode et la terminologie joussienne peut-elle nous être utile pour mieux comprendre nos usages des médias et des techniques, et les effets qu’ils ont sur nous en tant qu’individus et en tant que cultures ?
  • En quoi ces évolutions sociales, mais aussi l’évolution des sciences, nécessitent-elles de prolonger la pensée de Jousse en la complétant ou la rectifiant ? Comme il y invitait ses auditeurs : retournez au réel, mes paroles ne sont que des panneaux indicateurs…
  • Cette pensée actualisée peut-elle servir de fondement à une critique – au nom de l’anthropos, c’est-à-dire l’Homme vivant – de certaines de ces évolutions technologiques et des idéologies qui les accompagnent ?
  • Sur quels outils gestuels pouvons-nous nous appuyer pour conserver ou reconquérir notre puissance vivante d’êtres humains face à la puissance matérielle des machines ?

Accueil à 14h – Introduction du thème : Titus Jacquignon

14h30 – Thomas Marshall : Percevoir les gestes du numérique, en dessous des mots

Cette présentation propose un essai d’utilisation de la méthode de l’anthropologie du geste pour décrire ce que sont les technologies numériques, en dessous des mots conventionnels utilisés pour les nommer : quels sont leurs gestes caractéristiques et leurs gestes transitoires ? De quoi sont-elles des gestes analogiques ? Quelles histoires nous racontent le vocabulaire du numérique ? L’industrie numérique met-elle en place une stratégie de colonisation culturelle ? Je partirai de mon expérience pour prendre conscience de ce que le mimisme humain fait du numérique, et ce que le numérique fait du mimisme humain. Il sera question de simulation, de simulateurs et de simulacres.

15h à 15h15 : Échanges avec l’intervenant

15h15 – Rémy Guérinel : Une prise en main artisanale des outils numériques – de la machine à écrire augmentée à la bureautique digitale

Mon expérience professionnelle a constitué principalement à accompagner des collaborateurs en entreprise face au changement technologique. Le déploiement des nouvelles applications, qualifiées successivement de micro-informatiques, de bureautiques, de numériques et de digitales, a été progressif, ininterrompu et constamment accéléré. Ma recherche sur l’approche anthropologique singulière de Marcel Jousse s’est faite en parallèle.
Mon milieu professionnel a été pour moi un “laboratoire de prise de conscience”. Mon approche singulière actuelle sur ces sujets se résume en un fait simple : ces éléments “virtuels” nouveaux peuvent être considérés comme des outils à prendre en main comme un artisan traditionnel prend en main un outil face à un matériau brut. Cette analogie se révèle être le fil conducteur de ma pratique.
En cela, rien de neuf, “l’homme est un complexus de gestes”. Face à la nouveauté, il s’agit plus ou moins de monter des gestes nouveaux, dans le changement, de les démonter et de les remonter. Par contre, ces nouveaux outils et matériaux, moins visibles, sont plus complexes à saisir et à empoigner.

15h45 à 16h : Échanges avec l’intervenant

16h00 – Pause

16h15 – Muriel Roland : De l’homme sans geste au monde sans homme ? Technique versus technologie

L’inachèvement natif de l’Anthropos, en le privant de comportement d’espèce (instinct naturel), l’oblige à apprendre par le geste mimique, un comportement culturel constitué de « techniques du corps » (Marcel Mauss), les unes universellement humaines (verticalisation, bipédie, langage), les autres propres à sa communauté (langue, savoir-faire quotidien et artisanal, tradition).
Si c’est bien « la Technicité qui fait l’homme » (André Leroi-Gourhan), que nous nous auto-produisons nous-mêmes par le geste interactionnel, quelles sont les conséquences du surdéveloppement des technologies exosomatiques, rendu possible par le numérique, qui font de nous les exécutants d’un monde préfabriqué dans lequel nous nous trouvons sommés de vivre dans une réalité que nous ne pouvons plus co-œuvrer, ni somatiser par le geste ? N’est-ce pas là la promesse d’une réduction drastique des savoir-faire, savoir-être, savoir-sentir et savoir-penser humains que cette même technologie se propose alors « d’augmenter » par ses propres avatars (algorithmes, IA, smart cities, QR codes, nano-puces sous-cutanées, implants cérébraux, robotisation, etc.) ? Si, comme le dit Marcel Jousse, « le geste, c’est l’homme », que peut-il advenir de lui s’il est privé du geste ?

Cette présentation reprend une partie de la thèse de doctorat de Muriel Roland, dont la soutenance aura lieu lundi 20 novembre ! Bravo à elle pour cet accomplissement.

16h45 à 17h : Échanges avec l’intervenante

17h – Gabriel Bourdin : Pensée gestuelle et algèbre numérique

Jousse a conçu le déroulement de la pensée humaine comme une séquence de styles expressifs. Cette séquence n’est pas linéaire. Les styles expressifs concourent, se chevauchent et fusionnent en unités mimodramatiques multimodales. L’anthropologie du geste reconnaît l’interaction de ces styles dans l’humanité d’aujourd’hui, même si les ressources gestuelles de l’expression et de la pensée sont souvent atrophiées par la pédagogie moderne de tradition livresque. En effet, et malgré l’algébrose de la pensée moderne et écrite qui prévaut dans la société occidentale ou occidentalisée, l’individu moyen reste une manifestation plus ou moins congruente de tous ces modes d’expression combinés. Sauf handicap éventuel ou carence psychosociale et éducative, nous pouvons encore tous chanter, danser et inventer de petites histoires comiques lors d’une fête. Cependant, le spectre de la déshumanisation par ce que l’on peut appeler une civilisation technologique basée sur des circuits logiques-numériques nous guette.
L’anthropologie du geste peut-elle nous apporter de la lucidité face aux promesses de l’idéologie transhumaniste et de ses applications technologiques ?

Résumé de la présentation en 1 page (français, espagnol, anglais)

17h45 – Clôture du séminaire

18h – Fin

 

Rencontre de l’Association Marcel Jousse

Dimanche 20 novembre de 10h à 17h

Accueil à partir de 10h

10h30-11h30 : Assemblée générale

  • Présentation du rapport moral et du rapport financier, suivis du vote des adhérents.
  • Échanges à propos des projets de l’association.
  • Retours sur la mise en place de l’Espace membres sur marceljousse.com

11h30 : Interventions

Voici le programme prévisionnel. La journée sera animée par Thomas Marshall. Son objectif est de mettre en valeur les travaux des membres qui contribuent à réaliser la mission de l’association, ainsi que de favoriser la réflexion, les échanges, les collaborations.

11h30 – Clara Vasseur : A propos de la publication récente de son livre « Marcel Jousse, lecteur de Bergson »

Cet ouvrage est dérivé de la thèse de doctorat en philosophie qu’elle a soutenu en décembre 2019 à l’Institut Catholique de Paris sous le titre “Marcel Jousse, philosophe, Dialogue avec Bergson.” Il a été publié chez Beauchesne, l’éditeur du Style oral de Jousse en 1925, désormais intégré dans le groupe Le Cerf.
Elle nous en parlera via Zoom depuis l’Allemagne, où elle vit.

12h15 : Déjeuner

Un déjeuner est prévu sur place (plateau-repas sur commande ou repas sorti du sac).

Le déjeuner consistera en : une grande salade mélangée, un dessert et une boisson. Café et thé compris. Participation : 12 euros.
Merci de vous inscrire pour le déjeuner avant le vendredi 10 Novembre : en envoyant votre chèque de 12 €, à l’ordre de Association Marcel Jousse, à Elisabeth d’Eudeville, 108 avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris.

14h – 17h : Suite des interventions et des échanges

avec :

14h – Pierre Perrier : « De Marcel Jousse à Michel Zink » – De la venue de la tradition orale de Simon Képha (Pierre) à Rome jusqu’en Gaule et jusqu’au Moyen-Âge.

15h – Florence Louvet, de retour d’un voyage de recherche sur les traces de Marcel Jousse aux USA.

15h30 – Ateliers de réflexion en petits groupes

16h45 – Clôture des rencontres 2023

“Marcel Jousse, lecteur de Bergson” est publié

Nous sommes heureux d’annoncer la publication aux éditions du Cerf de cet ouvrage d’Elisabeth (Clara) Vasseur. Il est dérivé de la thèse de doctorat en philosophie qu’elle a soutenu en décembre 2019 à l’Institut Catholique de Paris sous le titre “Marcel Jousse, philosophe, Dialogue avec Bergson.”

Voici la présentation donnée sur le site de l’éditeur :

« Jousse – il a trouvé un filon, comme on dit », confie Bergson dans un entretien avec Lydie Adolphe.
La relation que Marcel Jousse, chercheur, professeur, homme d’Église, entretient tout au long de ses quelque quarante ans d’enseignement avec le philosophe Henri Bergson est pour le moins paradoxale. Entre admiration et rejet, Jousse revendique « sa » lecture de Bergson. Libre et inspirante, souvent critique, voire frôlant la caricature, cette lecture tonique agit en retour sur le lecteur, qu’il soit connaisseur de l’œuvre de Bergson ou pas. Selon Jousse, le geste corporel-manuel, le geste global, est au cœur de la pensée du philosophe. Bergson joue sa pensée avec ses mains, avec tout son corps avant de la jeter dans ses livres. La connaissance des lois anthropologiques du Style oral formulées par Jousse permet de mieux saisir la particularité du style de Bergson, proche de celui de Péguy, et qui s’apparente au style oral des rythmo-mimeurs. Jousse, Bergson : deux noms qui ont marqué leur époque. Le lien fort qui unit les deux penseurs est au cœur de cette enquête – que l’on pourrait aussi écrire « en quête » – à la fois philosophique et historique. Ce livre s’inscrit dans la longue liste des « lecteurs de Bergson » qu’ils soient ou non bergsoniens.

Élisabeth Vasseur, docteur en philosophie, vit en Allemagne. Elle a contribué à faire connaître l’œuvre de Marcel Jousse par ses travaux, en particulier outre-Rhin.

Cette publication est l’aboutissement d’un long travail de l’autrice, qui a démarré en 2016 par la mise en place d’une co-tutelle pour sa thèse entre l’Institut Catholique de Paris et l’université catholique de Eichstätt-Ingolstadt en Allemagne. Son travail de recherche a été suivi par les professeurs Emmanuel Falque et Walter Schweidler. Il a permis également le développement d’un lien entre l’Association Marcel Jousse et l’Institut Catholique de Paris, aboutissant à la réception des archives Jousse par cette institution, et à la publication à cette occasion d’un volume de la revue Transversalités entièrement consacré à Marcel Jousse.

Son travail a bénéficié d’un soutien financier de l’Association Marcel Jousse. Il nous a semblé en effet important, par cette recherche, de continuer à retisser des liens entre Marcel Jousse, perçu comme un chercheur jésuite inclassable, et l’histoire intellectuelle du 20ème siècle. Si, un siècle plus tard, son œuvre semble plutôt être le fruit d’une trajectoire isolée, il est important de souligner que Jousse a entretenu de son vivant de nombreux dialogues, de façon directe ou indirecte, avec de grands penseurs et chercheurs français de son époque.

Rémy Guérinel par exemple avait montré l’importance de ses liens avec ses maîtres du Collège de France, le psychologue Pierre Janet et l’Abbé Rousselot, fondateur de la phonétique expérimentale, deux figures importantes mais néanmoins un peu oubliées.
Clara-Élisabeth Vasseur a eu le courage de s’attaquer au dossier philosophique et historique des liens entre Jousse et Bergson, le philosophe français le plus renommé lorsque Jousse commence à enseigner en 1931. Comme elle l’avait expliqué en 2020 lors d’une présentation (disponible en vidéo pour les membres de l’association), elle n’a pas fait “la thèse sur Jousse et Bergson” mais “une thèse” sur le sujet, en espérant susciter un intérêt et être suivie par d’autres. Ayant disposé de seulement 3 ans pour aboutir son projet, elle a donc dû choisir certaines pistes et en écarter d’autres.

Son travail ne manque pourtant pas d’ambition : l’autrice s’appuie sur une bonne connaissance à la fois de l’œuvre de Bergson et de celle de Jousse ; mais elle ne s’est pas arrêtée à une exégèse comparative des écrits de ces deux penseurs. Dans une démarche d’enquête, elle a aussi cherché à croiser et mettre en lien ce que dit Jousse au sujet de Bergson dans ses cours, ce que dit de Jousse la collaboratrice de Bergson, Lydie Adolphe, et des traces de cette relation intellectuelle conservées dans les archives de l’un et de l’autre, publiées avec d’autres inédits en annexe du livre. Le lecteur y trouvera de nombreux extraits de cours relatifs à Bergson, cours donnés en Sorbonne par Marcel Jousse. Un de ces cours est entièrement consacré à l’intuition bergsonienne.

Espérons qu’à travers ce livre, un dialogue puisse se poursuivre entre les personnes intéressées par l’œuvre de l’anthropologue du geste et celles intéressées par l’œuvre du philosophe !

Thomas Marshall

Membre du Bureau de l’Association Marcel Jousse

Formation à la pédagogie Jean Qui Rit pour la lecture et l’écriture

Apprendre à lire et à écrire par le geste, le rythme et le chant

“Les enfants de 5 ans sont pleins d’énergie et très demandeurs d’activité. Ils aiment jouer, se balancer d’une jambe sur l’autre… Ce mouvement étant naturel, nous allons le mettre au service de la lecture et de l’écriture.”

C’est ainsi que sont introduits les principes de la pédagogie Jean Qui Rit sur leur site internet. Elle a été développée en 1954 par Marie-Brigitte Lemaire (1931-2022), au début de sa carrière d’institutrice. Son efficacité a été reconnue, cette pédagogie a pu être diffusée dans de nombreux pays francophones et même au-delà.

Marie-Brigitte Lemaire s’est notamment inspirée des travaux anthropologiques de Marcel Jousse qui lui serviront “d’étincelle pour ses propres travaux”. Elle s’est également appuyée sur le Manuel de la phonomimie ou méthode d’enseignement par la voix et par le geste inventée par Augustin Grosselin. Mais le moteur de sa démarche a été sa propre expérience de jeune institutrice :

A la fin de l’année scolaire, j’étais catégorique : jamais je ne ferai une autre année comme celle-ci ! Pourquoi, alors que tous savaient lire et écrire ? Parce que ces enfants plein de vie ne devaient pas bouger, ils devaient seulement « regarder et écouter » et bien sûr « redire »

Aujourd’hui, l’association Pédagogie Jean Qui Rit continue à former les enseignants lors de stages de formations chaque été.

Voici les dates et conditions pour s’inscrire à une formation.

Lors de l’été 2023, des stages sont proposés à Asnières-sur-Seine (au nord de Paris) et à Bourrou (en Dordogne).

Merci à Joséphine Peschaud, Directrice de la Maison Jacques Sevin à Bourrou, de nous avoir fait connaître l’actualité de cette méthode !

(cliquez sur l’image pour voir et télécharger l’affiche)

Titus Jacquignon au colloque SCÈNE(S) – 10 et 11 mai 2023

La Manufacture des Tabacs – Université Jean Moulin Lyon 3 a accueilli mercredi 10 et jeudi 11 mai un colloque interdisciplinaire, co-organisé par Claudine OLIVIER et Laurent FAURÉ. C’est là qu’avait eu lieu le colloque sur Marcel Jousse en 2011, A la recherche de l’Homme vivant.

Titus Jacquignon, docteur en sciences du langage et membre du bureau de l’Association Marcel Jousse, y est intervenu jeudi à 16h30 sur le thème :

La scène Marcel Jousse : le style professoral corporel-manuel-oral et sa réception

Sur la base de l’étude approfondie qu’il a faite pour sa thèse récemment soutenue à Bordeaux, Titus Jacquignon a mis en lumière le Style professoral corporel, manuel et oral de Marcel Jousse, professeur d’anthropologie du geste et du rythme, à Paris, entre 1931 et 1957. Il a expliqué la pertinence de ce style très personnel sur le plan pédagogique et par rapport au sujet même de son enseignement, mais aussi les problèmes de réception, ambiguïtés et confusion possible de la part des publics concernés.

En attendant la publication de cette communication dans les Actes du colloque, cet article très éclairant est partagé par Titus sur l’Espace réservé aux membres.

Pour découvrir le programme

Les recherches sur la poésie orale autour d’Antoine Meillet : Jean Paulhan, Marcel Jousse, Milman Parry

Pierre-Yves Testenoire, Maître de Conférences en Sciences du langage à la Sorbonne, vient de publier sous ce titre un article dans la revue Histoire Épistémologie Langage. Il a également écrit l’article de présentation de ce dossier thématique “Linguistique et anthropologie au début du 20e siècle”. Le dossier est composé de 4 articles étudiant les liens entre ces disciplines, alors récentes, à travers les positions de chercheurs répartis dans les communautés scientifiques suivantes : nord-américaine, allemande, française et britannique.

Voici le résumé de l’article publié par son auteur :

“Cet article porte sur trois recherches autour de la poésie orale menées dans le premier tiers du xxe siècle : le travail de Jean Paulhan (1884-1968) sur la poésie populaire traditionnelle à Madagascar, l’anthropologie linguistique de Marcel Jousse (1886-1961) et les recherches de Milman Parry (1902-1935) sur la composition formulaire des poèmes homériques. Ces trois recherches ont en commun d’avoir été dirigées ou en partie inspirées par Antoine Meillet (1866-1936). Elles sont une des manifestations concrètes de l’ambition portée par Meillet de faire dialoguer la linguistique avec l’ethnographie. L’article présente la spécificité de ces trois recherches mais aussi ce qui les réunit dans un objectif commun de décrire ou de théoriser l’oralité poétique. On s’intéresse, en particulier, à l’apport de l’enseignement de Meillet dans ces trois entreprises ainsi qu’à l’accueil qu’il leur réserve dans ses comptes rendus pour les Bulletins de la Société de linguistique de Paris. L’objectif est aussi d’évaluer la contribution de Meillet à l’émergence du concept de « formule » qui prend corps à travers ces travaux et qui deviendra la pierre angulaire des théories oralistes.”

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Il est intéressant que Pierre-Yves Testenoire reprenne des extraits de cours de Jousse dans lesquels ce dernier parle d’échanges qu’il a eu avec Meillet. Notons que Jousse ne présente pas ce dernier comme l’un de ses maîtres, au même titre que Pierre Janet en psychologie, Marcel Mauss en ethnologie et l’abbé Rousselot en phonétique expérimentale – chercheurs dont il a suivi les enseignements à Paris suite à son retour des États-Unis en 1919. En revanche, Jousse s’appuie sur l’autorité scientifique de ce linguiste reconnu, de 20 ans son aîné, afin de montrer à son auditoire que ses travaux sont pris au sérieux – Meillet ayant notamment publié un compte-rendu du Style oral (1925). Hier comme aujourd’hui, un chercheur n’est rien sans la reconnaissance que d’autres chercheurs lui accordent. Et cela d’autant plus pour Jousse, qui est un “franc-tireur” en sciences humaines, sans poste universitaire, proposant rien de moins que la création d’une nouvelle science !
A ce titre, il est précieux que les travaux de Pierre-Yves Testenoire contribuent aujourd’hui à réintégrer, dans une histoire de la linguistique marquée par l’héritage de Saussure, ce courant d’études de l’oralité du début du 20° siècle dont fait partie Marcel Jousse.
Vous pouvez également lire le rendu compte d’un autre texte intéressant de Pierre-Yves Testenoire intitulé : Une sémiologie sans signe : Marcel Jousse et la linguistique de son temps

Thomas Marshall et Titus Jacquignon,
membres du Bureau de l’Association Marcel Jousse

La pensée de Jousse au service des sciences humaines en Afrique

Après l’Amérique Latine grâce au travail de Gabriel Bourdin, c’est désormais en Afrique francophone qu’une nouvelle génération commence à s’emparer de la pensée de Jousse.

Vue de France, la méthode anthropologique « paysanne » de Marcel Jousse, ancrée dans son enfance au sein d’une Sarthe patoisante de tradition orale, à la fin du 19ème siècle, peut nous sembler étrangère, voire désuette, et en tout cas indissociable de sa personnalité singulière. A rebours de cette impression, le récent séminaire de l’Association Marcel Jousse a justement cherché à explorer l’actualité du « paysanisme », considéré comme réalité anthropologique et donc transculturelle. Pour cela, il est nécessaire de montrer la fécondité de cette approche dans l’étude empirique de milieux culturels contemporains, n’ayant a priori rien en commun avec le « pays » d’enfance de Jousse. En bref, est-ce que cette méthode produit des résultats ?

De façon inattendue, nous venons de recevoir un puissant témoignage de cette actualité et de cette vitalité potentielle dans le contexte de l’Afrique francophone. Albert Petit, ancien auditeur de Jousse et membre fondateur de la Fondation Marcel Jousse, en était convaincu. Mais depuis 50 ans, rares ont été les signes en ce sens. Un événement récent semble toutefois confirmer cette intuition : le lancement au mois de novembre du Laboratoire interdisciplinaire des réalités endogènes, regroupant une vingtaine de chercheurs africains au sein d’une association à but non-lucratif, et ayant son siège social à Cotonou au Bénin.

L’anthropologie du geste et du rythme de Jousse y est considérée comme un outil scientifique central pour permettre à chacun de ses membres de réaliser un travail d’étude, de prise de conscience et d’intégration de sa propre culture ethnique d’origine. Pour des Africains ayant quitté leur village il y a longtemps et ayant fait des études universitaires (dans leur pays ou à l’étranger), dans des institutions porteuses de la manière de penser occidentale, il s’agit de retrouver leurs racines et de donner une intelligibilité à leur « pays », pour eux-mêmes et pour des personnes issues de « pays » différents.
C’est donc une invitation à effectuer une démarche auto-ethnologique analogue à celle de Jousse. Elle se base sur le constat que bien des choses restent inaccessibles à des personnes n’ayant pas la même langue maternelle, ni une connaissance « de l’intérieur » des traditions particulières d’une ethnie.

Ce projet scientifique est le fruit du cheminement personnel et professionnel de son directeur, Augustin Ahoga, un Béninois âgé de 63 ans. Après avoir fait des études d’économie, il est devenu enseignant et s’est impliqué dans le Groupe Biblique Universitaire. Il a fait plus tard des études de théologie à Paris, puis un Master d’étude de l’Ancien Testament en Angleterre et en Afrique du Sud. Il enseigne également depuis de nombreuses années au sujet des religions traditionnelles africaines. Il a exercé jusqu’en 2019 la responsabilité de secrétaire régional pour l’Afrique francophone de l’IFES, une organisation internationale regroupant les Groupes Bibliques Universitaires.

Ayant lui-même grandi dans un milieu paysan traditionnel, il a longtemps cherché à comprendre sa culture d’origine avec des outils issus des sciences humaines. Le seul concept utile qu’il avait trouvé était la « parole-texte », expression forgée par un prêtre français ayant vécu et étudié chez le peuple Dogon. Lors de ces dernières années, il a effectué une recherche doctorale au sujet du dialogue entre les religions traditionnelles africaines et le christianisme. Son directeur de thèse a été bien inspiré de l’orienter vers les travaux de Marcel Jousse ! Car ils sont très peu connus dans les milieux académiques africains.

Cette découverte l’a beaucoup aidé, parce que Jousse a décrit de manière précise des réalités qu’il ne pouvait pas jusque là exprimer en français. Par exemple, verbo-moteur : là où plus d’un lecteur de France métropolitaine verrait du jargon incompréhensible, lui a vu enfin une possibilité de nommer ce qui fait la vie quotidienne normale de son ethnie, c’est-à-dire ses gestes ethniques. Lui-même les avaient beaucoup perdus, il témoigne ainsi d’avoir eu besoin de 6 mois d’immersion dans son village natal pour ré-apprendre le rythme de la langue et des danses, autrement dit les gestes expressifs de cette culture de style global-oral. Et c’est justement parce qu’il peut à nouveau rejouer ces gestes qu’il peut être reconnu par les gens du pays comme l’un des leurs. C’est donc un sentiment d’appartenance retrouvé, avec en prime une capacité d’en rendre compte à l’extérieur, dans les gestes de la langue française.
En effet, l’aboutissement de ce travail de recherche va être publié en 2023. Augustin Ahoga y présente notamment l’interprétation du film réalisé sur le panégyrique de son ethnie, c’est-à-dire une récitation traditionnelle, véhiculée par le corps et la parole, qui rend compte de l’histoire de la divinité de ce peuple. C’est là le fondement gestuel qui donne leur signification à bien des coutumes de la vie familiale et des rituels, tels ceux associés aux funérailles.

Cette fructueuse expérience personnelle va être répliquée de façon collective au sein du nouveau Laboratoire dont il est l’initiateur. L’ensemble de ses membres seront formés à la méthode anthropologique de Jousse. La démarche de recherche prévue est la suivante : à partir d’un thème commun, chacun des chercheurs retournera dans son ethnie d’origine pour étudier et documenter les pratiques, mémoires et manières de penser qui y sont aujourd’hui encore vivantes. Puis les chercheurs mettront en commun et compareront leurs résultats. A l’issue de ce processus, des publications les rendront disponibles pour participer à un renouvellement des sciences humaines en Afrique et au-delà.
60 ans après la mort de Marcel Jousse, avec la naissance de ce Laboratoire interdisciplinaire des réalités endogènes, la science paysanne serait-elle de retour ? Cela semble en bonne voie !

Thomas Marshall, le 8 décembre 2022

 

Pour en savoir plus : Lire la plaquette de présentation du Laboratoire

Cet article se base sur un entretien avec M. Ahoga, directeur du Laboratoire, que je remercie.

Voici une petite présentation qu’il a rédigée :

Je suis enseignant chercheur à l’Université de l’Alliance Chrétienne d’Abidjan (UACA), à ESBTAO à Lomé, à IBB et I3B au Bénin et ITES au Sénégal. J’ai servi les GBUAF (Groupes Bibliques Universitaires d’Afrique Francophone) jusqu’en 2019 et cumulativement j’ai dirigé la maison d’édition “Les Presses Bibliques Africaines (PBA)” pendant 12 ans. Mon doctorat porte sur le dialogue interreligieux. Dans ma thèse, j’ai proposé une Méthodologie Africaine de Dialogue InterReligieux (MADIR) chez les peuples verbomoteurs. J’ai mis en place un laboratoire pour l’application de ma méthodologie où j’enseigne l’Anthropologie du geste de Marcel Jousse à mes étudiants. Le dernier livre que j’ai édité en 2019 porte le titre : “Du temple à la cité, quand l’Église africaine pense le développement“.

Nouvelle publication : The Forgotten Compass

C’est un événement éditorial : The Forgotten Compass – Marcel Jousse and the Exploration of the Oral World est le premier ouvrage collectif consacré à l’actualité des recherches de Marcel Jousse dans le domaine académique des études bibliques. Il rassemble les contributions en anglais de 8 spécialistes internationaux et donne aussi la parole à Jousse lui-même à travers le texte de deux de ses cours. Les travaux de Marcel Jousse dans ce domaine sont comme une “boussole” que le livre propose de sortir de l’oubli.

Contexte

Ce livre est publié dans le cadre d’une collection spécialisée qui vise à renouveler ce champ de recherches : Biblical Performance Criticism Series. Comme Marcel Jousse en son temps, cette collection pose le constat suivant :

Les sociétés anciennes de la Bible étaient très majoritairement orales. À l’origine, les gens vivaient les traditions que l’on retrouve dans la Bible comme des performances orales. En nous concentrant sur la pratique ancienne ayant porté les traditions bibliques, nous pouvons faire passer le travail universitaire sur la Bible de la mentalité d’une culture moderne de l’imprimé à celle d’une culture orale/scribale.” [c’est-à-dire où l’écriture est le propre des scribes]

Il fait suite à la publication dans cette collection, en 2018, de Memory, Memorization, and Memorizers: The Galilean Oral-Style Tradition and Its Traditionists, un ensemble de textes de Jousse édité et traduit en anglais par Edgard Sienaert, avec une préface de Werner Kelber. Ce volume sera publié en 2023 dans sa version française par les éditions du Cerf (suite à leur rachat de Beauchesne).

Co-dirigé par Werner Kelber, Professeur émérite d’études bibliques à Rice University (Texas, USA) et Bruce Chilton, Professeur de philosophie et religion au Bard College (Etat de New York, USA), The Forgotten Compass est l’aboutissement d’un travail de plusieurs années. Une étape marquante avait été le séminaire sur Marcel Jousse and Oral Theory ayant eu lieu le 26 novembre 2019 lors du congrès annuel de la Society of Biblical Literature à San Diego. Organisé par Werner Kelber, la grande qualité de ce séminaire a fait l’unanimité parmi les participants. Si bien que la décision a été prise de transformer l’essai par un ouvrage collectif. 3 ans plus tard, voilà qui est fait !

Résumé

Voici une traduction du résumé de l’ouvrage, publié sur le site de l’éditeur :

Alors que l’exégèse historico-critique (critique de la forme) se développait, l’anthropologue français Marcel Jousse a élaboré un paradigme herméneutique, d’une portée globale et d’une vision prémonitoire, mais opposé au paradigme philologique des études bibliques. Alors que la méthodologie philologique est venue définir l’herméneutique biblique de la modernité, le paradigme de Jousse, dynamisé par le rythme, a été marginalisé et largement oublié. Bien que Jousse ait laissé relativement peu de traces écrites, plusieurs de ses plus de mille conférences, prononcées dans quatre institutions académiques différentes à Paris entre 1931 et 1957, ont été éditées et traduites en anglais par Edgard Sienaert. The Forgotten Compass examine les vues de Jousse sur la tradition et les recherches bibliques, et documente la pertinence de son paradigme pour les études bibliques actuelles. Ce qui distingue le paradigme de Jousse, c’est qu’il est fermement établi dans l’orbite des communications anciennes et profondément enraciné dans la tradition juive. The Forgotten Compass met le lecteur au défi d’apprécier le manque d’une expression appropriée, par la Bible imprimée, des sensibilités mêmes que privilégie le paradigme de Jousse, et de prendre conscience de la culture multivocale et multisensorielle dans laquelle les traditions bibliques ont émergé et dont elles se sont nourries au départ.

Contenu

1. L’œuvre de Marcel Jousse dans son contexte | Werner H. Kelber
2. Le mimisme et les récitatifs bibliques anciens | Marcel Jousse
3. L’anthropologie du mimisme, de la mémoire, et de l’invisible | Edgard Sienaert
4. Un point de vue oral sur les Proverbes 31:10-31 | Mark Timothy Lloyd Holt
5. A quoi sert Jousse ? La forme orale comme moyen mnémotechnique dans les Hodayot | Shem Miller
6. Le son, la mémoire et le style oral | Margaret E. Lee
7. Jousse, composition orale et évangile de Marc | Joanna Dewey
8. Origine et techniques des récitations bibliques | Marcel Jousse
9. L’Au/Oralité de l’Evangile araméen | Bruce Chilton
10. Marcel Jousse, le problème synoptique, le passé et l’avenir des études évangéliques | Matthew D. C. Larsen
11. Conclusion : Implications de l’œuvre de Marcel Jousse | Werner H. Kelber

Épilogue

Afin de donner au public un aperçu des enjeux importants abordés dans le livre et des perspectives qu’il ouvre, Werner Kelber nous a autorisé à partager les pages qui closent l’ouvrage et nous en avons réalisé une traduction en français.

Télécharger l’épilogue en anglais   |   Télécharger la traduction de l’épilogue

Quelques appréciations au sujet du livre :

Ces commentaires sont des traductions de ceux publiés par l’éditeur.

“Vivez l’excitation de la découverte – d’un auteur dont l’œuvre pourrait bien changer votre façon de voir la Bible. Ce livre laisse Marcel Jousse parler lui-même, mais il nous donne aussi le privilège d’accompagner de grands spécialistes qui sortent de leur routine pour s’engager avec Jousse de manière critique et enthousiaste. Sans surprise, Jousse a enseigné à Paris. De façon peut-être plus surprenante, il était un prêtre jésuite.”

Bernhard Lang, Université de Paderborn

 

“Cette excellente introduction aux travaux pionniers et novateurs de l’ethnographe français Marcel Jousse sur l’oralité et la mémoire dans le milieu juif palestinien de Jésus permet aux lecteurs de (re)découvrir ses contributions à l’étude du Nouveau Testament et à l’histoire intellectuelle moderne. Combinant deux des conférences de Jousse avec une introduction et des évaluations critiques, le livre met en évidence ses idées avant-gardistes et leur pertinence pour les recherches contemporaines.”

Catherine Hezser, SOAS Université de Londres

 

“Quel bonheur que ce volume pour quiconque s’intéresse à l’oralité ! Bien que centré sur les études bibliques, il intéressera également les spécialistes de la communication ou de l’écologie des médias en présentant les travaux de l’anthropologue Marcel Jousse aux nouvelles générations. Voir et entendre Jousse dans le contexte de son travail le rend vivant et ouvre de nouvelles voies de réflexion sur la façon dont les gens interagissent avec leurs environnements de communication.”

Paul A. Soukup, SJ, Université de Santa Clara

 

“The Forgotten Compass montre la voie vers un paradigme mieux adapté au monde targumique araméen de Rabbi Jeshua de Nazareth. Anthropologue mondial et contemporain de Rudolf Bultmann, Jousse propose une approche robuste et complète des Écritures, à la fois très ancienne et très nouvelle. Jousse est un véritable trésor pour les jeunes chercheurs qui recherchent d’autres chemins menant à la découverte.”

Randolph F. Lumpp, Regis University, chercheur émérite

 

“Jousse a utilisé une idée de l’astronome Laplace : les grandes découvertes se produisent lorsque des concepts auparavant éloignés se rencontrent enfin. The Forgotten Compass est l’un de ces événements rares. Ce magnifique recueil constitue de véritables retrouvailles, où les études évangéliques se retrouvent face à face avec l’investigation des traditions de style oral. Les gestes intellectuels venant de part et d’autre créeront un courant capable d’irriguer le champ unifié des études bibliques et des traditions orales.”

Gabriel Bourdin, Institut de recherches anthropologiques, UNAM, Mexique

 

“Marcel Jousse était bien connu pour son étude novatrice de la tradition orale et de la mémoire. Afin de célébrer cette œuvre et d’approfondir sa signification et sa pertinence pour les études bibliques et la recherche sur Jésus, Werner Kelber et Bruce Chilton, directeurs de la publication, ont réuni une impressionnante liste de chercheurs qui évaluent la pensée de Jousse. Riches en réflexion, ces essais font progresser de manière positive l’étude de l’oralité.”

Craig A. Evans, Université baptiste de Houston

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