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Marcel Jousse. Pour une anthropologie autre.
Franck DAMOUR

Qui connaît encore Marcel Jousse ?

Il fait partie de ces éclipsés, méjugés ou ignorés pour certains, inconnus pour la plupart. Et pourtant, lorsqu’il est lu, Jousse laisse rarement indifférent. Comme le dit justement Bernard Baillaud, « il n’est pas une page de Marcel Jousse qui n’incite à lever la tête ».

Pourquoi Jousse provoque-t-il cela ? Car il part de l’expérience, il touche notre expérience. Prendre Jousse pour un théoricien de l’oralité, ou du mimisme, c’est faire fausse route, c’est prendre Jousse à l’envers. Car il ne s’agit pas de théorie, mais de science humaine vivante, d’anthropologie au sens plein du terme, dans toutes les dimensions de l’homme. Au point, à la fin, de lever la tête.

Marcel Jousse a été animé par une exigence de globalité de l’humain, non comme slogan (cela, tout le monde le fait), mais comme pratique : l’idée de geste résume cette globalité. Le geste comme manifestation de la globalité de l’homme. Celui du maçon, de l’aïkidoka, du sportif, du mot juste, ajusté du poète ou du professeur. Toute parole n’est qu’à la hauteur de sa densité charnelle.

Marcel Jousse représente la fin du discours. « Il faut une force scientifique pour remettre la vie dans cela et opérer une sorte de transfusion de sang, c’est-à-dire qu’il faut mettre dans le livre de la vie. » Tout tient dans cette phrase de Jousse. L’objectif : « mettre de la vie dans le livre ». C’est-à-dire nous sortir de l’emprise d’un écrit sclérosé, du bavardage théorique, du verbiage, pour redonner à la langue sa chair et à la chair sa langue, et, incidemment, faire à nouveau du livre ‒ mais cela peut être un film, une danse ou une liturgie ‒ une expression de la vie. Encharner la langue, tel est l’horizon qui aimante Nunc depuis bientôt dix ans et justifie son existence. La rencontre avec Marcel Jousse était inévitable.

Il s’agit ici de proposer un portrait vivant de ce penseur injustement méconnu, et des multiples facettes de son anthropologie. La méthode : « une force scientifique ». Car il s’agit de redonner à l’anthropologie son véritable statut de science, née de l’expérience du vivant, et non d’idéologie d’un scientifisme douteux car théorique et mortifère. Alors, avec Jousse, il s’agit d’une science du vivant, non des idées, non du discours, mais de la chair traversée de sens.

La gageure était de parvenir à faire entendre Jousse à travers un média – le texte écrit – qui n’est de toute évidence pas une entrée suffisante dans l’œuvre de Marcel Jousse, mais qui peut jouer un rôle de seuil. D’autant plus que Nunc espère être une revue différente par sa pratique différente de l’écrit : en effet, les contributions, quoiqu’étayées et référencées, se doivent de faire entendre une voix. Avons-nous relevé cette gageure ? En tout cas, la forme plurielle de la revue est une première piste que nous avons utilisée pleinement, à regarder la variété des horizons et des voix réunis ici.

Au cœur du dossier, il y a ces deux cours de Marcel Jousse car, pour reprendre une formule de Jean Sullivan, « Jousse exige le contact direct avec son écriture-parole ». Ces cours ont été choisis par Rémy Guérinel et Edgard Sienaert parmi des milliers de pages pour leur qualité à faire entrer dans la geste joussienne. Cette geste utilise un vocabulaire déroutant, nouveau pour dire nouvellement des choses que nos oreilles « algébrosées » ne savent plus entendre : pour l’expliciter, nous avons choisi, dans le lexique final, dans les notes de bas de page, de faire appel à Jousse lui-même, afin que d’obstacle ce vocabulaire devienne porte d’entrée.

Mais ces cours, il fallait aussi les replacer dans leur perspective tout à la fois intellectuelle, culturelle et spirituelle, ce que font en ouverture et clôture du dossier Haun Saussy et Bertrand Vergely.

Il fallait aussi les replacer dans la vie de Jousse, et nous avons sollicité Titus Jacquignon, qui prépare une thèse sur Jousse, pour poser les jalons de son aventure intellectuelle.

Le témoignage de Joseph Morlaâs, qui fut un collaborateur au long cours de Jousse, nous offre un portrait de l’intérieur.

Enfin, il est frappant que Marcel Jousse soit aujourd’hui lu et mobilisé par des personnes d’horizons les plus divers, soignants et poètes, philosophes et artisans, comédiens et pédagogues : la troisième partie du dossier donne la parole à certains d’entre eux.

Benoît Virole nous éclaire, à partir du cas des enfants sourds-muets, sur ce que Jousse apporte de nouveau (ou plutôt d’oublié) dans la compréhension du langage, en écho avec la proposition de rythmo-typographie, une mise par écrit d’une parole orale et gestuelle par Edgard Sinaert.

Celui-ci, à partir de son expérience de traducteur de Jousse en anglais, pointe la richesse des intuitions joussiennes dans un contexte interculturel.

Les passerelles entre Jousse et Paulhan (Bernard Baillaud), Claudel (Christine Rayroux) ou Merleau-Ponty (Natalie Depraz) nous rappellent l’apport de Jousse dans la prise en compte du corps comme geste vivant. D’autres aspects auraient pu être abordés, comme la musique ou l’adaptation technologique, mais aussi la théologie ou la danse, la place a manqué et il s’agissait sans doute de poser, avec d’autres, une pierre de plus sur le cairn joussien à l’orée du chemin.

Nous espérons donner à la fois le goût et des clefs pour redécouvrir un penseur majeur du XXe siècle, qui a tenté de défricher les voies d’une anthropologie dynamique qui prenne l’homme à sa racine.

Sommaire développé

AXIS MUNDI MARCEL JOUSSE. POUR UNE ANTHROPOLOGIE AUTRE
dossier dirigé par Rémy Guérinel, Edgard Sienaert et Franck Damour

Franck DAMOUR, Introduction (ci-dessus)

Haun SAUSSY, Non pour abolir, mais pour accomplir : les destinées de Marcel Jousse

  • Le commencement : Jousse dans le contexte polémique de la crise du modernisme, découlant de la critique historique des textes du Nouveau Testament (Alfred Loisy).
  • Jousse méthodologiste : quelle en est la portée générale ? Sa critique par Henri Meschonnic.
  • Les perspectives d’actualisation de la pensée joussienne avec les découvertes des neurosciences.

Titus JACQUIGNON, Marcel Jousse. Jalons pour un itinéraire biographique et intellectuel

  • Qu’est-ce qui explique l’éclipse de Marcel Jousse après sa mort ? Qu’est-ce qui justifie de le redécouvrir 50 ans plus tard ?
  • L’enfance paysanne, matrice de l’anthropologie du geste
  • Le prêtre, le combattant, le savant
  • Son séjour aux U.S.A. : la rencontre des Indiens et la vocation de l’anthropologie
  • L’enseignement des maîtres de Paris dans les années 1920
  • Triomphe à Rome devant l’Institut Biblique Pontifical, il reçoit le soutien de Pie XI
  • Son ascension de 1925 à 1939, puis son déclin à partir de la 2ème guerre mondiale

Joseph MORLAAS, Marcel Jousse : un maître

Fidèle collaborateur de Jousse, médecin psychiatre, il a mené des recherches sur l’apraxie. Dans ce témoignage publié initialement en 1977, le Dr Morlaâs raconte sa rencontre intellectuelle puis humaine avec le professeur Jousse. Il décrit le personnage, dont la façon d’être et de s’exprimer était en unité profonde avec la pensée scientifique. Il témoigne des réactions de Jousse en fonction de l’ouverture ou de la fermeture que ses travaux rencontrèrent dans différents milieux, laïcs ou religieux.

Edgard SIENAERT, Deux cours d’anthropologie de Marcel Jousse : une introduction

Aperçu des principaux thèmes de la pensée de Jousse et de sa terminologie, éclairée par des citations de ses cours.

N.B. : Contrairement à ce qui est écrit dans la revue, ces cours n’ont pas été pris en note par un simple auditeur mais par une sténotypiste professionnelle, ce qui en garantit la précision. Nous donnons ci-dessous le plan de ces cours, établi par Jousse comme support à son enseignement oral.

Marcel JOUSSE, Le retour aux gestes du composé humain – Laboratoire de rythmo-pédagogie, le 7 décembre 1938 : premier cours d’une année intitulée : « Le rythmo-catéchisme formulaire de Rabbi Iéshoua de Nazareth ».

Introduction : Laboratoire de mort et laboratoire de vie.

I. le composé humain

  1. La mort : séparation de l’âme d’avec le corps
  2. La vie : union de l’âme avec le corps
  3. Le vocabulaire a) vieux, maniant la mort et b) nouveau, maniant la vie

II. Les gestes du composé humain

  1. Le mimisme humain macroscopique ou microscopique
  2. Le geste interactionnel
  3. Le geste projeté hors de soi

III. Le retour aux gestes

  1. La paralysie par le livre
  2. La paralysie sociale
  3. L’anthropologie du mimisme

Conclusion : La formation de moi-même par le mimisme

Marcel JOUSSE, L’anthropologie et le mimographe – École d’Anthropologie, 10 décembre 1934

Introduction : La lutte contre la mort des mimèmes [l’oubli]

I. Prévision scientifique logique de l’agraphisme [la transmission sans écriture]

  1. Les rythmo-mimeurs
  2. Les rythmo-psalmodieurs
  3. La tradition vivante, stéréotypée, rythmique

II. Prévision scientifique logique du mimographisme [l’origine de l’écriture]

  1. Graphisme du mimodrame
  2. Graphisme successivé par phasage

III. Prévision scientifique logique du phonographisme [l’écriture alphabétique]

  1. Phonographisme initial
  2. Dégagement lent du phonographisme pur
  3. Persistance du mimographisme étymologique

Conclusion : Mimisme humain indéracinable

Erratum : p.49, paragraphe 2, trajectoire > mémoire

Edgard SIENAERT, La Plainte de Piet Draghoender : un exemple de rythmo-typographie

Présentation typographique adaptée du témoignage improvisé en style oral, d’un petit fermier métis d’Afrique du Sud, menacé d’expulsion par la politique d’apartheid.

Edgard SIENAERT, Traduire Jousse : quelques réflexions

Le traducteur en anglais des textes de Jousse fait état de l’itinéraire qui l’a conduit à réaliser cette entreprise difficile – en écho aux propos de Jousse lui-même sur la difficulté de traduire.

Christine RAYROUX, Dire Claudel ou parler Jousse ?

Claudel et Jousse se sont rencontrés, ils s’appréciaient mutuellement. Christine Rayroux, comédienne, a joué des textes de Claudel et a aussi interprété un cours de Marcel Jousse. Elle livre un témoignage sur ces deux expériences d’incarnation d’une parole puissante.

Bernard BAILLAUD, Sur la manducation de la parole de Jean Paulhan par Marcel Jousse et réciproquement ou Par quel bout les prendre

Jean Paulhan est un critique, écrivain, éditeur, qui a été comme Jousse élève de Pierre Janet. Il a ramené d’un séjour de 3 ans à Madagascar des poésies populaires, les Hain-tenys merinas, souvent mentionnées par Jousse. Un aperçu de ce qui les rapproche et de ce qui les distingue.

Benoît VIROLE, Un couteau au bord du signe

L’œuvre de Marcel Jousse devenue illisible, par rapport à la linguistique et à la sémiotique contemporaines. Un commentaire du cas clinique de Marie et Marthe Heurtin utilisé par Jousse. Réflexion sur la persistance dans l’Homme de l’originaire, à l’ère numérique.

Natalie DEPRAZ, Jousse et Merleau-Ponty : l’enfant en nous. Parole et mimisme

L’attention ouverte de l’enfant. L’enfant : être ce qu’il fait.
… une déprise de la division soi-autrui.
… la transformation de l’intersubjectivité par le mimisme … l’organicité du geste, une gesticulation positive

Michel DE CERTEAU, Une anthropologie du geste : Marcel Jousse

Note de lecture publiée dans la revue Études (1970, n° 332/05), accessible par le site de la BNF.

Bertrand VERGELY, Quand l’anthropologie devient une théologie

Éléments pour un lexique joussien sur la bouche de Marcel Jousse

Pour goûter l’enseignement de Marcel Jousse

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