Association Marcel Jousse : Allocution pour l’Assemblée Générale annuelle 2017

Je vous souhaite la bienvenue à cette 49ème assemblée générale annuelle de notre Association. En 1968, en effet, a été créée la Fondation Marcel Jousse, l’Association Marcel Jousse vingt ans plus tard, en 1988. Nous allons donc célébrer notre cinquantenaire l’année prochaine et nous aurons d’ici-là amplement le temps de réfléchir au chemin accompli et encore à parcourir. Je rappelle, à toutes fins utiles, la raison d’être de l’Association, formulée dans l’article 2.1 de nos statuts :

Cette Association a pour but de promouvoir et développer l’étude et la diffusion fidèle de la pensée du professeur Marcel Jousse, par la connaissance de son œuvre et la continuation de ses travaux et plus généralement de promouvoir l’étude interdisciplinaire des fondements anthropologiques des traditions orales et de toute pédagogie.

Voici maintenant ce qui a été fait depuis notre dernière réunion en novembre dernier. Certains points ont été abordé dans ma récente Lettre aux adhérents, mais pas tous.

Le 28 mai 2016 notre Association a été heureuse de pouvoir collaborer à une initiative de Muriel Roland, dans le cadre de son programme Geste’Stations, initiative intitulée Rejouer les gestes de l’Univers – Sur les pas de Marcel Jousse. Les performances et interventions de cette journée peuvent être visitées ou revisitées sur deux vidéos, mises en ligne sur Artweb Paris 8. Les deux vidéos et le PDF explicatif qui les accompagne se trouvent aussi sur le site www.marceljousse.com

Cette journée se prolonge d’autre part dans la publication internationale trimestrielle Degrés, revue de synthèse à orientation sémiologique, qui consacre son numéro de septembre aux Poïétiques du spectacle vivant entre recherche et création. Ce numéro inclut un article de Nadia Vadori-Gauthier, danseuse et praticienne somatique qui a participé à la journée du 28 mai, ainsi que le texte de référence de cette journée, et mon analyse de ce texte : Le geste doit précéder la parole. De l’anthropologie du mimisme de Marcel Jousse.

Le bureau de l’Association a pris la décision importante de commander une nouvelle numérisation des CD des cours oraux de Marcel Jousse. Cette mise à jour des cours les rendra plus facilement lisibles pour les lecteurs et plus facilement consultables et publiables pour les chercheurs et praticiens de Jousse. Après avoir examiné plusieurs estimations de durée et de coût de l’opération, le bureau a opté pour la Société Arkhênum de Bordeaux, qui travaille notamment pour les Archives Nationales. Titus Jacquignon est l’intermédiaire entre la Société Arkhênum et notre Association. Jusqu’ici, l’ensemble des cours a été traité et une deuxième lecture est en cours. Il faudra une troisième lecture, celle-ci par des personnes connaissant l’œuvre de Jousse. Pour cela, il faudra constituer un comité éditorial.

Une initiative en emmenant inévitablement une autre, cette digitalisation a induit notre webmestre Thomas Marshall à soulever la question de la gestion des droits d’auteur sur l’œuvre de Jousse et des cours en particulier. La question est importante, intellectuellement et légalement. Dans l’article fondateur de nos statuts, que j’ai cité, il y a un mot qui résume la difficulté : notre but est de promouvoir et développer l’étude et la diffusion fidèle de la pensée du professeur Marcel Jousse. Fidèle : comment décider de cette fidélité et comment la garantir, sans censurer ?

Du point de vue international, l’année a été très fructueuse.

L’anthropologue Gabriel Bourdin, de l’Université Autonome du Mexique, à Mexico, vient de terminer la traduction en espagnol du Style oral qui devrait être publiée dans le cours de l’année prochaine. Gabriel Bourdin est en train en même temps d’achever un long essai – il a aussi rédigé un essai de 160 pages sur la vie, l’œuvre et la pertinence (vigencia) de l’enseignement de Jousse dans le domaine des études anthropologiques.

Avec l’Italie, nous avons depuis longtemps le contact suivi du musicologue Antonello Colimberti qui a publié, en 2012, une traduction de cours de Jousse en Sorbonne (1942-43) traitant du paysanisme (« Il contandino come maestro » – Le paysan comme maître) et plusieurs articles appuyés sur Jousse depuis. D’autre part, les éditions San Paolo veulent publier, en 2018 et 2019, les trois volumes de l’Anthropologie du geste, séparément en formats broché et électronique (« ebook »).

Et surtout, nous avons avec nous Barbara Grespi, de l’Université de Bergame, et Chiara, qui a fait son doctorat en France et qui a traduit les cours de Jousse sur le cinéma dont Barbara nous parlera aujourd’hui.

Un professeur de l’Université de Salvador de Bahia, Erico José Souza de Oliveira a commencé à écrire autour de Jousse.

Quant au monde anglophone, j’ai eu publié, fin novembre dernier, « In search of coherence » – En quête de cohérence –, une présentation en anglais de l’ensemble de l’anthropologie du mimisme de Jousse. Il paraîtra, au début de l’année prochaine, une traduction des Dernières Dictées et des mémoires de Jousse sur la tradition orale araméo-galiléenne. Pour ces deux publications, j’ai eu l’appui très ferme de trois autorités en études néo-testamentaires : Werner Kelber, Richard Horsley et Kelly Iverson, tous les trois appuyant l’approche de Jousse en la matière. Il est évident que les joussiennes choses commencent à bouger dans ce monde-là. On me dira qu’après quarante ans d’efforts ce n’est pas trop tôt, mais le moulin universitaire moud lentement.

J’aimerais terminer quelque peu par où j’ai commencé, et ce par le biais d’une anecdote personnelle que je voudrais tourner en proposition à discuter à un moment propice.

J’ai fait un court séjour à l’hôpital universitaire à Bloemfontein et la veille de ma sortie, un médecin que m’était tout à inconnu m’a donné sa carte de visite, et puis a disparu. Or, sur cette carte de visite il a écrit de sa main : « Omnes una manet nox » – Une même nuit nous attend tous, ou, Tous nous entrerons dans la même nuit. Il s’avère que c’est un vers du poète latin du premier siècle, Horace, et un vers qui en explique un autre du même poète, mais beaucoup plus connu : « Carpe diem ». En effet, si nous sommes tous destinés à entrer dans une même nuit éternelle, pourquoi ne pas profiter du jour où nous sommes ?

Jousse n’aimait guère Horace. Il rappelle dans un cours : « On nous a fait scander Horace et toute sa turpitude » (Sorbonne du 19 mars 1936) et, ailleurs, il parle de « ce sinistre Horace » (École des hautes études, le 27 janvier 1937). Il est vrai que Jousse est à l’opposé d’Horace. Pour Jousse, c’est notre ignorance qui nous fait appeler « la mort » ce qui est en réalité un mimodrame « qui est peut-être la vraie vie » parce que nous participons tous au grand souffle primordial de l’énergie universelle et que notre dernier souffle « remonte en Haut d’où il est venu ! » (Sorbonne du 3 mars 1955). A la nuit – nox – d’Horace, Jousse oppose la lumière – lux : « Je suis, dit-il, le grand angoissé de la clarté » (École d’anthropologie, le premier janvier 1937) ; ou encore : « Nous avons à vivre dans la clarté » (École d’anthropologie, le 18 janvier 1943). Ma proposition ainsi est que, si l’Association devait se chercher une devise, celle-ci pourrait bien être, et surtout dans les temps de confusion que nous vivons : « Vivre dans la clarté. »

Je vous remercie,  Edgard Sienaert

Paris, le 12 novembre 2017

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