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Le professeur à l’oeuvre |
Dans ses cours, le professeur Jousse entraîne ses auditeurs dans des expériences apparemment éloignées les unes des autres. Il est un observateur impliqué dans les différents “terrains” qu’il a traversé au cours de sa vie, soit par nécessité, soit par curiosité scientifique.
Nous abordons ailleurs ses sources d’inspiration. Ici, nous effectuons un repérage des contextes dans lesquels Jousse a pu étayer ses prises de conscience précoces, puis montrer la fécondité de ses découvertes.
Les terrains ethnologiques
- Aux USA comme instructeur militaire en 1918-19, Jousse a l’occasion de se rendre dans des réserves amérindiennes. Il mène une enquête auprès des personnes qui maîtrisaient la langue des signes des Plaines, l’outil d’intercommunication entre les nations indiennes. Il la décrit comme un “manuélage”, différent du langage verbal. Son ami amérindien Os Ko Mon vient à Paris pour donner des démonstrations publiques de “danses”. Jousse explique à ses auditeurs que ce sont en réalité des récits corporels à vocation pédagogique (“mimodrames”) et non une expression purement esthétique.
- En France, Jousse est à l’affût de rencontres avec des missionnaires, des voyageurs, des personnes qui ont vécu en dehors de la société de “Style écrit”. Au fil de ses cours, il fait part de ses échanges avec eux. La diversité de leurs origines suggère la grande portée descriptive et explicative des découvertes de Jousse sur des traditions de Style global-oral : Mérinas de Madagascar, improvisateurs basques, récitateurs bretons, du Proche-Orient, de l’Afrique de l’Ouest…
Les terrains cliniques
- En psychiatrie, Jousse se trouve en sympathie intellectuelle avec plusieurs médecins, dans une attitude de recherche par l’observation clinique. Il fréquente ainsi l’hôpital Sainte Anne à Paris et s’intéresse plus particulièrement aux apraxies et aphasies. Il établit des rapprochements entre le développement de l’enfant (“montage de gestes”) et les phénomènes pathologiques (“démontage de gestes”), ainsi qu’avec des données ethnologiques. Il a aussi un regard clinique accéré sur le fonctionnement “normal” du langage, de la mémoire, etc. dans la société contemporaine.
Un aperçu à partir d’extraits de cours (6 pages)
- Marie et Marthe Heurtin, sourdes-aveugles de naissance, représentent pour Jousse un cas clinique de très grande valeur. En effet, la religieuse qui a été leur éducatrice, a réussi de manière intuitive à développer leur intelligence et leurs capacités de communication, uniquement à partir des gestes du toucher par les mains. Jousse a rencontré Marthe et a pu communiquer avec elle par le langage de gestes appris chez les Amérindiens. Il présente en détail ces cas clinique dans plusieurs cours, notamment à l’aide d’un film.
Un recueil exhaustif des extraits de cours de Jousse sur les soeurs Heurtin (63 pages)
A propos du film consacré à l’histoire de Marie Heurtin (2014).
Les terrains psycho-sociologiques
- Le milieu scolaire et le milieu universitaire sont porteurs d’une culture qui est étrangère à Jousse : il n’a jamais renié les paysans illettrés de son enfance sarthoise. Au contraire, il s’efforce d’être leur voix dans un milieu intellectuel où il s’est intégré sans s’y assimiler. Il prend la défense de l’enfant et tâche d’éveiller les pédagogues à une prise de conscience du fonctionnement anthropologique, si souvent entravé par la déformation des adultes : parents, enseignants.
Extrait de cours : “la pédagogie vivante est une chose qui nous épouvante“ (1 page)
- Le milieu militaire a eu une grande influence sur son parcours, comme tous les hommes de sa génération. Ses souvenirs de la guerre de 1914-18 affleurent régulièrement dans ses cours, ainsi que la formation des officiers américains en artillerie. La guerre de 1939-45 est vécue comme une épreuve morale pour le pays ; il tient à poursuivre ses cours malgré les difficultés liées à l’Occupation allemande, et leur donne une tonalité plus politique, qu’il faut savoir décrypter.
Un aperçu à partir d’extraits de cours (10 pages)
« L’anthropologiste a à sa disposition le Laboratoire expérimental. Nous avons instauré un laboratoire plus vaste que nous avons appelé : le Laboratoire ethnique. Il y en a un troisième que j’oserais appeler : le Laboratoire occasionnel qui n’est peut-être pas le moins fructueux. Nous pouvons entrer dans ce Laboratoire partout. Et là où les observations peuvent être extrêmement fines, c’est dans ces contacts prolongés que nous avons parfois au cours de voyages, dans les compartiments de chemin de fer. »
(Cours à la Sorbonne le 4/04/1935)